Méditations post-traumatiques de Noël

Publié le par DEMS




Divers textes nous parviennent après notre appel à témoignage. Dans un premier temps, on s'est trouvé dépité de ne pas avoir de témoignages, ou des témoignages mêlés à des analyses, ou à des points de vue. Puis, il fallait en convenir : (1) Les anthropologues, premiers à écrire, détestent témoigner (ils préfèrent l'enquête, qui est un autre processus mental). (2) Ce sont des machines analytiques un peu ridicules : et ce ridicule les sauve de l'assurance des ignorants, et des micro-trottoirs. Nous nous mettons dans les rangs.




*
Texte sans titre
Après avoir longuement disserté sur le référent supposé par l'universalité du corps souffrant (métaphore que nous suggéra la décision prise par les sans papiers occupant l'université paris 8 d'entrer en grève de la faim), autrement dit ce corps supplicié censé expier l'humanité de plus d'un de ses péchés pour les quelques millénaires à venir, et l'inhumanité de traitement qu'on lui oppose qu'elle soit d'Empire ou d'ailleurs. Il nous a fallu neutraliser l'effet compassionnel par cette image induite afin de mieux cerner la non-volonté du législateur, du politique et de l'administrateur de faire bon droit à l'existence, et ce, quelles qu'en soient les formes : acculer une frange non négligeable de notre population à une non existence de fait qui passe par une mise en danger de leurs vies à laquelle la brutalité policière n'a fait que surajouter. En effet, bon nombre des grévistes de la faim durant l'évacuation forcée ont été piétinés. Une non existence en droit se pose comme le principe, par simple réduction de leur exitence à un vaste ensemble vide. Ce que sont les sans papiers au regard des lois iniques instituant l'identité ou le séjour de chacun, que chacun serait en devoir d'entretenir avec lui même...Dès lors ne leur opposer que la force. Alors que ceux-ci poussaient à grands cris leurs seuls désirs de vie. Voilà qui est non seulement insupportable à l'aune de l'humanité qui nous fonde, mais avant tout inacceptable, d'un point de vue strictement politique. Quand donc cette grande dame qui se voudrait notre patrie, en finira-t-elle avec ces pratiques dignes de la France de Vichy ? Quand donc décidera-t-elle de mettre un terme à l'enfascisation si mal dissimulée de ses cadres, de ses gouvernants et de certains de ses membres ? Si toute raison d'être au monde se voit en permanence amoindrie par des logiques territoriales érigées en territorialités logiques, rien d'autre qu'un territorialisme puant et exacerbé, s'amoncelera comme fruit originel de toute pensée.
Donc veillez au maintien de ces corps, s'imposait à nous, comme une volonté de nous  redonner à nous mêmes un surplus d'âme.
C'est pourquoi nous condamnons l'intervention policière outrageusement brutale, ayant eu cours ce matin même, sur le site de l'université paris 8.
Ghali Beniza, étudiant à l'Ehess. Anciennement étudiant à paris 8.


*


Police, milice des puissants

Si les politiques de gestion des flux migratoires sont franchement déshumanisantes, il semble que les formations adressées aux forces de l’ordre le soient aussi. Il s’agit de désapprendre à parler, de désapprendre à penser, ou peut-être de n’avoir jamais rien appris d’autre que l’obéissance irréfléchie et le respect de la discipline hiérarchique. Pour en arriver à un tel formatage cervical, il faut prendre l’enfant très jeune, lui inculquer un minimum de connaissances pour qu’il intègre les messages suivants tout en l’empêchant de développer tout esprit critique. L’école, la télévision et les jeux vidéo étant à l’heure actuelle les moyens les plus performants pour limiter la liberté de penser des personnes. Ce vendredi 22 décembre, nous avons pu et de près expérimenter, observer, tester, confronter, provoquer et toucher même une partie des performances effectives des nouvelles technologies étatiques. Une horde de CRS et quelques policiers nous ont délicatement invités à quitter l’université qui de par sa haute valeur républicaine de laïcité ne peut décemment pas s’autoriser à garder une porte ouverte pour les fêtes de fin d’année chrétiennes.

Une fois sortis de l’enceinte universitaire, nous aurions pu penser que l’affaire était close, mais point du tout. Les 80 étudiants, sans-papiers, grévistes de la faim et jeunes de la cité voisine… enfin, les 80 citoyens du monde mis à la porte du soi-disant univers de la pensée rationnelle se sont retrouvés entourés d’environ 200 flics déguisés en robocops. Et là, alors que les évanouissements de grévistes de la faim se multipliaient, les "administratifs" de l'université semblaient s'étonner de ne pas avoir appelé les pompiers avant d'appeler la police!! Au bout de cinq minutes, un malheureux camion arrive, mais cinq personnes sont inconscientes et les trois malheureux soldats du feu sont submergés en attendant les renforts. A cet instant, les matraques se mettent à retentir sur les boucliers comme si elles sonnaient le retour à la guerre primitive. Les "gardiens de la paix" décidèrent de suivre les ordres qui étaient de pousser non chaleureusement les personnes encore debout en écrasant tout aussi non chaleureusement les quatre corps qui restaient sur le sol. Cinquante mètres plus loin, ils arrêtèrent de nous pousser et de nous menacer. Aussi éberlués les uns que les autres, nous nous regroupons tel du bétail nous regardant d'un air interrogateur. L'idée qui depuis quelques jours circulait devait être mise en pratique, nous décidons de nous réfugier à l'hôpital. Les matraques retentissent à nouveau et l'heure des méditations collectives s'achève. Un itinéraire improvisé se fixe et toujours aussi groupés, nous nous dirigeons vers l'hospice hospitalière.

Espérant que la lutte contre la colonisation spirituelle continuera à la rentrée, veuillez recevoir mesdames messieurs citoyens universels mes meilleurs voeux pour la nouvelle année.


Isabelle Mallet


*

Glossolalies post-chrétiennes pendant la messe de minuit


Vous qui avez trouvé la solution à un problème important et urgent, avec une concentration qu'on ne vous connaissait pas d'habitude sur vos propres sans-papiers, pourquoi avez vous préféré une évacuation de droite actuelle (facile) à une occupation de gauche potentielle (difficile) ? Pourquoi exposer les personnes à la violence en une nuit, préférablement à la persuasion des personnes en plusieurs nuit ? Pourquoi tous ces observateurs d'un coup brutal, alors qu'un seul aurait suffit chaque jour, et par relais, pour protéger les locaux et le matériel, et être aidé pour par les initiateurs de l'occupation ? N'est-ce pas un peu Gribouille de plonger dans une mare pour se protéger de la pluie, et conjurer les dégâts possibles par des violences actuelles ? Au fait : croyez-vous que le matériel est plus important que les corps des hommes qui pensent ? Vous qui savez le nombre la liste, et le détail des méchants, de toute origine et de toute profession, y compris vos étudiants à punir, vos profs à abattre, vos personnels à surveiller, qu'est-ce qui vous donne l'assurance de n'être pas la source du danger ? Puisque vous appelez à l'innocence contre les coupables, pourquoi agissez-vous puisque vous savez ou devriez savoir qu'il n'y a d'innocence que « dans l'inactivité, c'est-à-dire dans l'être d'une pierre et pas même celui d'un enfant » ? Mais qui êtes vous pour donner tant de conseils sur ce qu'un savant normal ne connaît pas, à moins d'être expert en révolte, « science dans laquelle on ne devient jamais docteur » ? Pourquoi savez-vous d'avance la bonne politique et les bonnes méthodes, vous qu'on ne voit pas spécialement les penser ou les expérimenter ? Quelle notion avez-vous de ce que tout le monde appelle le service public, dès lors qu'un peuple se présente qui n'est pas une population ? Pourquoi ne l'appelez vous pas service des passants ou des consommateurs ? Pourquoi ne voyez-vous pas dans les troubles l'affect actif de la persévérance des êtres, de la pensée, de la transmission des expériences ? Mais pourquoi haïssez-vous à ce point les lettres, la tradition, l'histoire, dès lors qu'elle se réinventent sous vos yeux ? N'aimez-vous que les morts ? Est-ce la raison pour laquelle vous chapitrez le vivant, et l'exposez à tout ce que vous prétendez haïr ? Qu'avez-vous à protéger ? Trop de risques, soit, et comment les évaluez vous, puisque le risque n'est pas une assurance sur l'avenir, mais une méthodologie du présent ? Allez-vous dire que vous avez mis la violence de votre côté pour l'empêcher ? Et pourquoi le trouble serait plus violent que l'ordre ? Mais pourquoi votre peur aurait-elle plus de raisons que celle d'être arrêté dans la ville ? Pourquoi ne venez-vous à la charité que lorsque le malheur est à vos yeux irrémédiable et indépendant de vos bons services empressés ? Comment prétendez-vous être d'accord sur le contenu, et jamais sur la méthode, dès lors qu'elle lors qu'elle touche un peu à la tranquillité de vos débats ? Qu'appelez-vous réalisme : votre accès privilégié au réel ? Pourquoi reconnaître d'avance les puissants de la ville, et ne rien admettre des misères de la ville ? Mais dans quel monde vivez-vous, vous qui pensez souvent en secret que le monde et fichu, et qu'il n'y à rien à faire ? Et pourquoi donc le faites-vous ? Quand vous convoquez des mercenaires, pourquoi vous étonner qu'ils vous traitent comme des valets ? Mais qui êtes-vous donc ? Ne vous êtes-vous donc jamais posé la question ? A la vérité vous vous la posez certainement : aussi vous faut-il crier vos ordres pour ne pas l'entendre, et chuchoter vos alliances afin au moins de vous reconnaître et vous entendre compter.

Les affirmations seront bien plus brèves : les hommes qui pourvoient réellement à leur existence vivent « sans espoir ni crainte du lendemain ». Ils vivent, comme toute « chose qui, pour autant de puissance qu'elle a en elle, s'efforce de persévérer dans son être » Et cet effort, concernant les hommes doit être appelé désir. Aucune demande pour aucune offre. Une vie pour l'extension de la vie, et pour l'extension de la pensée. Ca commence toujours par soi. (Ceux qui s'occupent des autres ont le plus souvent un grande haine des autres et de soi : tel est le mystère de charité occidentale que même saint-Paul ne pouvait imaginer.) Vincent de Paul, Pascal, Weil, eux l'avaient exactement deviné : il faut d'abord bien se traiter, pour bien traiter les autres. Pour le reste : « Les enfants de Port-Royal sont désinvoltes ». Ceux d'Omar Khayyam boivent leur vin. Ils ont ont une grande admiration mutuelle de ne pas être seulement des conservateurs de cruches. Ya Baba.

DEMS

 



Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
Moi je n'étais plus là et que puis-je méditer ? Je n'étais plus las et puis-je m'éditer ? Je cris urbi et orbi que je crois que j'ai peut-être perdu l'"esprit de noël" et cette année je ne ferai pas de cadeaux. Je préfère avoir faim et tirer la gueule. Je médite mal, je me prépare mal au sacer, je felicite les trois méditationnaires. A quand l'an 01 ?
Répondre
D
Me-ti disait : je ne vais pas aux fêtes et je ne reçois plus de présents car je veux distinguer les vrais tournants (B. Brecht, Livres des transformations)Il ne faut pas forcément avoir été las pour se m'éditer.